La parole à Marc Gisclon
Sport et développement durable
Journaliste sportif à la RTS depuis 2011, Marc Gisclon a commenté les compétitions de curling lors de derniers Jeux olympiques de Pékin. Quel regard porte-t-il sur le développement durable dans le sport ? Entretien avec celui qui est aussi intervenant en expression orale dans les programmes bachelor de l’ESM.
–Les Jeux olympiques de Pékin 2022 se sont récemment terminés. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?
-Marc Gisclon : D’un point de vue sportif, je peux dire que c’était réussi. Sans être extraordinaires c’était de beaux Jeux olympiques. Il y a eu de jolies histoires et les Suisses ont bien rempli leur mission en rentrant avec quinze médailles dans leurs valises.
Malgré toutes les critiques possibles contre le pays hôte, la Chine a montré qu’elle était capable d’organiser des Jeux olympiques en temps de Covid. A leur retour, les athlètes suisses ont tous souligné que l’événement était bien organisé et qu’ils ont pu remplir leurs objectifs sportifs.
-A vous entendre, on n’a rien à reprocher à la Chine, pourtant les critiques étaient vives. Comment peut-on expliquer le choix du CIO d’organiser une telle manifestation dans un pays comme celui-ci ?
-C’est une décision difficile à justifier. Déjà il est important de noter que c’est la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques que le CIO s’est plié à la règle imposée par la Chine qui a interdit aux athlètes de manifester. Dès lors, pour le pays organisateur, l’opération est réussie. Finalement c’est l’histoire qui se répète avec le sport comme outil de propagande. Quand on connaît la politique chinoise, particulièrement au niveau du non-respect des droits humains, c’est catastrophique.
-Le rôle des journalistes n’est-il pas aussi de dénoncer cela ?
-Sur place, les médias ne pouvaient pas parler. A Genève ou ailleurs on osait dire les choses. On s’est même posé la question, est-ce que la RTS doit boycotter ? D’un côté, on a évidemment envie de répondre oui. D’un autre côté, imaginez, Marco Odermatt fait une médaille d’or en géant. La moitié de la Suisse romande s’est réveillée à 4 heures du matin pour le voir. Si on ne l’avait pas retransmis, qu’est-ce qu’on nous aurait dit ?
C’est important de parler du contexte, de ce qui se passe sur place, mais il ne faut pas oublier de souligner ce pourquoi les athlètes se sont préparés pendant 4 ans. Pour eux c’est la concrétisation d’un rêve de toute une vie. Ce n’est pas leur rendre service que de boycotter.
-Votre métier est de rendre compte d’un événement sportif et en même temps cela contribue à la promotion d’actes peu louables… En tant que journaliste, est-ce difficile de vivre avec cette ambivalence ?
-Non, car comme les athlètes on se retrouve très vite concentré sur la performance sportive. Et puis on se prend au jeu. Cela ne veut pas dire qu’on y fait abstraction. Pendant le direct, on parle sport. Avant et après, on se permet des commentaires sur le contexte.
-En matière de développement durable, ces Jeux ont également été très critiqués. Qu’en pensez-vous ?
-Ecologiquement on a organisé des Jeux d’hiver dans un endroit où il neige à peine quelques centimètres par année. La question a été soulevée dès lors qu’on a attribué la manifestation à la Chine en 2015. Et on se la pose encore aujourd’hui. C’est insensé. Cette problématique n’est pas nouvelle. Déjà en 2014, lors des Jeux olympiques de Sotchi, on a organisé des épreuves au niveau de la mer et prévu des compétitions de ski dans une région où il neige très peu et sans aucune infrastructure existante. Il y avait 80% de neige artificielle et il faisait si chaud que celle-ci fondait. A Pyeongchang aussi en 2018, il y avait 90% de neige artificielle et Pékin cette année c’est 100%.
-Ce constat est quand même affligeant en 2022…
-La candidature de Pékin a été attribuée en 2015. Aujourd’hui on ne pourrait plus faire ce genre de choix. Cela ne passerait plus. Heureusement les choses évoluent. Cela fait des années qu’on se demande pourquoi on attribue encore des grandes compétitions à des pays qui n’ont aucune culture du sport ou en tout cas du sport en question. Par exemple, les sports de neige pour la Chine ou le football pour le Qatar. D’un autre côté, de nombreux pays à tradition sportive comme la Suisse ou la Norvège, ont tout à disposition, mais voient leur population année après année refuser d’organiser des Jeux.
Cela dit, il faut mentionner que Pékin s’est mis comme objectif de faire les premiers JO entièrement verts, donc 100% alimentés en énergie renouvelable. Je ne sais pas si l’objectif a été atteint. Ils avaient par exemple prévu des réservoirs longtemps à l’avance pour les remplir d’eau de pluie. Je ne sais pas s’il a suffisamment plu pour produire assez de neige mais la volonté était là.
-Comment voyez-vous la suite des grands événements sportifs ?
-L’escalade de la surenchère des coûts va, je l’espère, s’arrêter. Les prochains Jeux olympiques auront lieu en Europe c’est déjà un avantage. En 2026, les Jeux d’hiver se passeront à Milan et Cortina d’Ampezzo. Au niveau des infrastructures sportives tout existe déjà ou presque. Les patinoires, le curling, les pistes de ski sont déjà là. Et c’est un endroit touristique, donc j’ose imaginer que les hôtels et les logements seront utiles après l’événement. En ce qui concerne les Jeux d’été de Paris 2024, je ne sais pas me prononcer au niveau des infrastructures sportives, mais pour ce qui est de l’hébergement, Paris est la ville la plus visitée au monde. On devrait donc revenir à une taille plus raisonnable.
ESM mars 2022